Israël fête ses 70 ans, et après ?

15 mai 2018

Soixante-dix ans après la création de l’Etat d’Israël, diverses personnalités appellent l’Union européenne à promouvoir une conférence internationale en charge du règlement du conflit sur la base des résolutions des Nations Unies, à peser par tous moyens, y compris par des sanctions, sur les autorités israéliennes et à reconnaître l’Etat de Palestine. 

Israël fête ses 70 ans d’existence. Sa proclamation en 1948 au lendemain de la Seconde Guerre mondiale marquée par le génocide des Juifs d’Europe, a été accueillie dans le monde comme un refuge pour les survivants et comme un espoir. En même temps, elle a dépossédé les Palestiniens d’une partie importante de leur pays et représenté pour eux une catastrophe, la Naqba. 70 ans plus tard, l’Etat d’Israël est une réalité, comme est une réalité le fait que des millions de Palestiniens vivent dans une situation insupportable d’occupation, d’enfermement à Gaza, de discriminations en Israël ou d’exil.

Depuis 1948, ces deux réalités s’entrechoquent entraînant du sang et des larmes, entravant l’avenir des peuples de la région et produisant ses effets jusqu’en Europe et dans le reste du monde. L’occupation et la colonisation poursuivie par Israël depuis 1967 de territoires ne faisant pas partie de ses frontières internationalement reconnues aggrave une situation régionale par ailleurs bouleversée par de nombreux conflits et fait peser de lourdes menaces sur la paix mondiale.

Ce qui n’est pas supportable, c’est la négation assumée des droits du peuple palestinien par la force brute de la répression et des armes. S’appropriant les terres, cantonnant les Palestiniens à des territoires de plus en plus réduits, les différents gouvernements israéliens détruisent de plus en plus sûrement tout espoir que deux Etats puissent vivre en paix, côte à côte, avec Jérusalem comme capitale commune. Le résultat de leur politique interroge, certes, sur la possibilité de cette solution. La poursuite continue de la colonisation conduisant à l’installation de quelque 700 000 colons en Cisjordanie a sapé les espoirs suscités par le processus d’Oslo. Mais il est clair que l’hypothèse louable d’un seul Etat ouvert à tous avec les mêmes droits se heurte aux aspirations nationales des deux peuples. L’établissement de deux Etats dans les frontières de 1967, garantissant une solution aux réfugiés et établissant Jérusalem comme capitale des deux pays, reste, au moins à court et moyen terme, la seule solution viable.

Il est illusoire de penser que laisser le gouvernement israélien et l’autorité palestinienne face à face permettrait d’avancer dans cette voie. Seule l’intervention de la communauté internationale permettra de peser sur les deux parties, en particulier sur les autorités israéliennes qui se sentent revêtues de l’impunité que leur confère le soutien indéfectible des Etats-Unis.

C’est donc à l’Union européenne d’agir. L’Europe doit cesser de regarder ce conflit comme une séquelle de ses responsabilités dans le génocide des juifs et de la manière dont y ont été traités les survivants. Ramener le gouvernement israélien au respect du droit et à la raison, dénoncer sa politique, n’est en rien une manifestation d’antisémitisme. Antisémitisme dont nous combattons les manifestations insupportables qui se produisent partout en Europe.

Nous appelons l’Union européenne à promouvoir une conférence internationale en charge du règlement du conflit sur la base des résolutions des Nations Unies, à peser par tous moyens, y compris par des sanctions, sur les autorités israéliennes et à reconnaître l’Etat de Palestine. La France doit agir en ce sens en procédant elle-même à cette reconnaissance sans délai.

Les signataires:

Tewfik Allal, militant associatif,
Jean-Christophe Attias, directeur d’études à l’EPHE,
Bertrand Badie, professeur à l’IEP Paris,
Françoise Basch, universitaire,
Sophie Basch, professeur à Sorbonne Université,
Esther Benbassa, sénatrice EELV, universitaire,
Sophie Bessis, historienne,
Françoise Blum, ingénieure CNRS,
Barbara Cassin, chercheur CNRS,
Mouhieddine Cherbib, militant associatif CRLDH Tunisie,
Alice Cherki, psychanalyste,
Catherine Coquery-Vidrovitch, historienne,
Michel Deyfus, directeur de recherche au CNRS,
Dominique Guibert, président de l’AEDH,
Jeanne Favret-Saada, ethnologue,
Christiane Hessel, présidente d’honneur de Les Enfants, le Jeu, l’Education,
Alain Joxe, directeur d’études à l’EHESS,
Robert Kissous, militant associatif,
Abdelatif Laabi, écrivain,
Nicole Lapierre, socio-anthropologue, directrice de recherche émérite au CNRS,
Henri Leclerc, président d’honneur de la LDH,
Jean-Claude Lefort, député honoraire,
Catherine Lévy, sociologue CNRS,
Gilles Manceron, historien,
Michel Mousel, militant politique,
Fabienne Messica, sociologue,
Bernard Ravenel, historien,
Vincent Rebérioux, LDH,
Malik Salemkour, président de la LDH,
Maurice Sartre, professeur émérite d’histoire ancienne,
Abraham Ségal, documentariste,
Denis Sieffert, journaliste,
Taoufiq Tahani, universitaire, président d’honneur de l’AFPS,
Athéna Tsingarida, professeure à l’Université libre de Bruxelles,
Michel Tubiana, président d’honneur de la LDH,
Marie-Christine Vergiat, députée européenne,
Georges Vigarello, EHESS,
Sylviane de Wangen, comité de rédaction de Confluences Méditerranée.

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L’accès au territoire palestinien ne doit pas être entravé

L’accès au territoire palestinien ne doit pas être entravé

Jérusalem doit être reconnu aussi capitale de l’Etat palestinien

Le site de « Trop, c’est trop ! » a alerté sur le vote par le Parlement israélien, le 6 mars 2017, d’une loi interdisant l’entrée en Israël des étrangers opposés à la politique du gouvernement, en publiant trois articles du quotidien Haaretz du 8 mars protestant contre ce vote 

L’application de cette loi a été précisée le 7 janvier 2018 par la publication d’une liste de 21 ONG dont Israël veut interdire l’accès de son territoire. Ce qui leur empêche aussi celui du territoire palestinien, possible seulement par Israël ou des points de contrôle israéliens. Parmi elles, l’Association France Palestine Solidarité (AFPS) et l’organisation états-unienne Jewish Voice for Peace. L’AFPS a demandé d’urgence un rendez-vous au président de la République et au ministre des Affaires étrangères pour qu’ils exigent du gouvernement israélien l’annulation de ces mesures et envisagent le cas échéant des mesures de réciprocité.

On trouve sur le site de « Trop, c’est trop ! » le communiqué de protestation de l’AFPS
AFPS : liste noire d’associations et ONG « indésirables » en Israël ainsi que l’annonce d’une

rencontre-débat avec Bernard Ravenel
le lundi 15 janvier 2018
à 20heures 30

Où en est le mouvement national palestinien ? Quelles sont ses options ? 

à l’occasion de la sortie de son livre, La Résistance palestinienne : des armes à la non-violence (l’Harmattan, 2017), Présentation par les Editions l’Harmattan

organisée par La Paix Maintenant (France), au Cercle Bernard Lazare, 10 rue Saint Claude, Paris 3 (M° Saint-Sébastien-Froissart, participation aux frais 5 €).

Le débat sera mené par Marc Lefèvre, membre fondateur des Amis de Shalom Akhshav en France et porte-parole de La Paix Maintenant. Bernard Ravenel, ancien président de l’AFPS, est l’un des animateurs du collectif « Trop, c’est trop ! ».

Ci-dessous, – présent également sur le site de « Trop, c’est trop ! » – , le texte :
« Daniel Barenboïm : Jérusalem doit être la capitale d’Israël et de la Palestine »

Jérusalem doit être la capitale d’Israël et de la Palestine !

Daniel Barenboïm, Le Monde du 23/12/2017.

La décision du gouvernement américain de transférer l’ambassade des Etats-Unis en Israël vers Jérusalem, et ainsi de reconnaître de facto Jérusalem comme capitale d’Israël, est la dernière d’une série de graves décisions dans le conflit israélo-palestinien. Ce choix illustre clairement le fait que, dans ce conflit, chaque démarche extérieure tend à favoriser l’une des parties et à démoraliser la seconde, ce qui conduit à une certaine euphorie d’un côté et à la violence de l’autre. En l’absence d’une opposition claire et ferme à cette disposition, la perspective d’une solution au conflit israélo-palestinien s’éloignera encore plus.

La nouvelle flambée de violence résultant de la décision des Etats-Unis ainsi que les réactions internationales mettent en évidence combien il est nécessaire de penser certains aspects de ce conflit de manière nouvelle. Cela fait plusieurs décennies déjà que le monde parle d’une éventuelle solution à deux Etats – encore faudrait-il poser d’abord la question : où est le deuxième Etat ?

Cette question est particulièrement importante parce que le conflit israélo-palestinien est différent de centaines d’autres conflits dans l’histoire de l’humanité. En règle générale, un conflit a lieu entre deux nations ou deux groupes ethniques qui s’affrontent à propos de frontières ou de ressources, comme l’eau ou le pétrole. Mais dans le cas du conflit israélo-palestinien, il ne s’agit pas d’un conflit entre deux nations ou deux Etats, mais entre deux peuples, qui sont tous deux absolument convaincus d’avoir un droit sur le même petit morceau de terre et qui veulent y vivre – de préférence sans l’autre. C’est pourquoi ce conflit ne saurait être résolu de manière militaire ou purement politique. Il doit y avoir une solution humaine.

L’historique de ce conflit est connu, il n’est pas utile d’en rappeler les détails. La décision de diviser la Palestine en 1947 n’a pas été acceptée par l’ensemble du monde arabe à l’époque. Peut-être que cette décision était une erreur ou bien peut-être que les réactions à cette décision l’étaient ; d’un point de vue palestinien en tout cas, ce fut une catastrophe. Mais la décision fut prise, et nous avons tous dû apprendre à vivre avec ses conséquences. La plupart des Palestiniens ont abandonné leur revendication sur le territoire complet de la Palestine et se sont déclarés prêts à partager le territoire.

Israël, en revanche, poursuit sa politique de colonisation illégale dans les territoires palestiniens et manifeste par là bien peu de volonté à faire un pas en direction des Palestiniens. Le conflit est symétrique par certains aspects. Mais d’autres aspects sont asymétriques : Israël est déjà un Etat, un Etat fort, et doit donc assumer une plus grande part des responsabilités.

Plus personne aujourd’hui ne remet sérieusement en question le droit d’Israël à exister. Pourtant, le monde est divisé sur le sujet d’Israël. D’une part, il y a les nations qui se sentent responsables de l’horreur infligée aux juifs par l’Europe — et on ne peut que se réjouir que ce sentiment de responsabilité persiste aujourd’hui.

Malheureusement, d’autre part, se trouvent des gens qui remettent en cause l’Holocauste, ce qui stimule certaines positions extrêmes dans le monde arabe et qui – à raison – fait douter la population juive d’Israël. Mais, malgré toutes les critiques, justifiées, de l’inimitié palestinienne contre Israël, on ne doit pas voir celle-ci comme une continuité de l’antisémitisme européen. Face à la décision unilatérale des Etats-Unis, j’en appelle au reste du monde : reconnaissez l’Etat de Palestine, tout comme vous avez reconnu l’Etat d’Israël. On ne peut attendre de deux peuples, ou même de deux personnes, aucun compromis, s’ils ne se reconnaissent pas mutuellement.

Pour une solution à deux Etats, il nous faut deux Etats, et ils n’existent pas actuellement. La Palestine est occupée depuis cinquante ans, et on ne peut pas attendre des Palestiniens qu’ils acceptent d’entrer en négociation dans cette position. Toutes les nations qui souhaitent sincèrement une solution à deux Etats doivent reconnaître l’Etat de Palestine et exiger parallèlement le début d’un dialogue sérieux.

Les démarches unilatérales comme la décision des Etats-Unis ne peuvent que nuire à la situation puisqu’elles donnent de faux espoirs à une partie et créent du désespoir chez l’autre. Elles ne peuvent être comprises que comme une provocation. S’il n’y avait pas l’historique des soixante-dix dernières années, on pourrait peut-être envisager un Etat binational. Mais dans ce contexte, on ne peut que comprendre les hésitations des deux côtés, et la seule solution possible au conflit est la solution à deux Etats pour laquelle, par définition, il faut deux Etats.

J’invite les peuples d’Israël et de Palestine à exprimer de manière claire et ferme qu’ils en ont assez de ce conflit qui dure depuis des décennies et qu’ils veulent enfin la paix. Une solution équitable à deux Etats serait la seule voie qui soit à la fois juste pour les Palestiniens et sûre pour les Israéliens. Et en ce qui concerne Jérusalem, la solution me semble logique. Jérusalem est une ville sainte pour le judaïsme comme pour l’islam et le christianisme. Dans le cadre d’une solution équitable à deux Etats, je ne vois aucun problème à considérer Jérusalem-Ouest comme la capitale d’Israël et Jérusalem-Est comme la capitale de la Palestine.

C’est pourquoi j’en appelle aux grandes nations qui n’ont pas encore reconnu l’Etat de Palestine à le faire maintenant – et à coupler cette reconnaissance avec un engagement à démarrer immédiatement des négociations sur les tracés des frontières et les autres aspects essentiels du conflit.

Il ne s’agirait pas d’une mesure à l’encontre d’Israël, mais en faveur d’une solution acceptable pour les deux parties. Il est tout à fait clair que la volonté des deux peuples, israélien comme palestinien, en faveur de la paix doit être équivalente. On ne peut pas forcer une solution uniquement depuis l’extérieur. J’étends donc cet appel, et j’invite les peuples d’Israël et de Palestine à exprimer de manière claire et ferme qu’ils en ont assez de ce conflit qui dure depuis des décennies et qu’ils veulent enfin la paix.

Le site permet la signature en ligne de la pétition de la campagne pour la suspension de l’Accord d’association de l’Union européenne avec Israël et de faire des dons sécurisés via internet pour l’aider à continuer son action http://www.occupationpasdaccord.eu/fr. Merci de votre soutien.

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Suite au vote de l’Assemblée des Nations-unies sur Jérusalem

Les États-Unis de Donald Trump désavoués à l’ONU sur Jérusalem, la France doit agir plus fortement, à l’opposé des demandes scandaleuses du Crif.

Depuis que Donald Trump a annoncé, le 7 décembre 2017, qu’il va transférer l’ambassade des États-Unis à Jérusalem, car « Jérusalem est la capitale d’Israël », l’isolement diplomatique de ce pays sur ce sujet est croissant. Dans le monde entier, les voix se sont multipliées pour condamner cette décision contraire au droit international, qui met gravement en péril toute solution de ce conflit fondée sur la justice et le droit.

Au conseil de sécurité des Nations-Unies, le 18 décembre, les États-Unis ont été seuls à opposer leur véto à une résolution dénonçant cette décision votée par les 14 autres États membres. A l’assemblée générale extraordinaire immédiatement convoquée, ils ont été désavoués, le 21 décembre, par 128 voix pour et seulement 9 contre. Malgré leurs menaces de représailles financières, inédites et perçues par tous comme inadmissibles, ils n’ont obtenu des autres États que 35 abstentions et quelques absences lors du vote.

La France a voté cette résolution condamnant la position des États-Unis. Quant au Crif, il a lancé un appel consternant au président de la République l’invitant à suivre la décision irresponsable de Donald Trump en déplaçant à son tour l’ambassade de France à Jérusalem. Cet organisme a montré une fois de plus qu’il n’est représentatif que des forces politiques israéliennes qui soutiennent l’extension continue de la colonisation de la Palestine au mépris du droit légitime des Palestiniens à avoir leur État et de toute recherche d’une paix juste dans la région.

Face à cette dérive des États-unis de Donald Trump, c’est au contraire à la France et à l’Europe de faire entendre leur voix. En affirmant que Jérusalem doit être la capitale reconnue de deux États et que Jérusalem-Ouest n’accueillera les ambassades que lorsque Israël reconnaîtra Jérusalem-Est comme la capitale de l’État de Palestine. La France et l’Europe doivent reconnaître au plus vite l’État palestinien — ce qu’Emmanuel Macron se refuse toujours à faire. Et elles doivent exercer des pressions sur Israël, en particulier par la suspension de l’Accord d’association de l’Union européenne avec cet État tant qu’il n’aura pas renoncé à ses violations du droit international.

Texte à l’initiative du Collectif « Trop, c’est trop ! »,

Sophie Bessis, Suzanne Citron, Bertrand Heilbronn, Gilles Manceron, Bernard Ravenel, Abraham Ségal.

Consulter les sites www.trop-cest-trop.fr et france-palestine.org

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Que fait M. Nétanyahou à la commémoration de la rafle du Vel’d’hiv ?

Le président de la République française a cru bon d’inviter le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, à venir commémorer avec lui, le 16 juillet 2017, le 75e anniversaire de la rafle du Vel’ d’hiv. Ce faisant, M. Macron commet une erreur politique et une faute morale. Erreur politique car inviter le chef d’un gouvernement d’extrême droite, coupable de multiples exactions vis-à-vis des Palestiniens et accroché à son refus d’ouvrir la moindre véritable négociation de paix, revient à lui donner une caution internationale qu’il ne mérite pas. En associant par ailleurs à un événement purement français le premier ministre israélien, le chef de l’Etat signifie par là qu’Israël a vocation à intervenir dans toute question concernant les Juifs, à quelque nation qu’ils appartiennent, il en fait le représentant de tous les Juifs du monde, ce qu’il n’est pas, même si cette prétention a caractérisé le mouvement sioniste depuis son origine. Par là même, il dénie aux Juifs français leur qualité de Français à part entière en les assignant à une double appartenance nationale dont la majorité d’entre eux ne veut pas. M. Macron n’est certainement pas antisémite mais, en mêlant Israël à une commémoration française, il semble porter inconsciemment toute la mémoire de l’antisémitisme européen, selon lequel un Juif n’est jamais vraiment un Français ou un ressortissant d’une autre nation, il relève d’une appartenance autre, il est d’abord et parfois seulement un Juif. Tant qu’en Europe et ailleurs, on continuera à confondre judéité et Etat d’Israël, on nourrira d’une part l’antisémitisme et on encouragera de l’autre cet Etat à instrumentaliser celui-ci pour poursuivre sa catastrophique politique de colonisation.

 

Pour le collectif « Trop c’est trop! » : Sophie Bessis, historienne et essayiste ; Suzanne Citron, historienne et écrivaine; Gérard Maarek, urbaniste retraité ; Gilles Manceron, historien.

 


 

Par ailleurs, l’historien Zeev Sternhell a publié dans Le Monde du 13 juillet un article intitulé : « M. Macron, soyez ferme face à M. Nétanyahou ».

M. Macron, soyez ferme face à M. Nétanyahou

La visite du premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, à Paris le 16 juillet pour le 75e anniversaire de la rafle du Vél’ d’Hiv, vise à « demander à la France de renoncer à l’indépendance de la Palestine », analyse dans une tribune au « Monde » l’historien israélien Zeev Sternhell. Il estime que Paris ne doit pas céder.

Le premier ministre d’Israël, à la tête d’un gouvernement qui se situe bien à droite du Front national (FN), vient à Paris avec la volonté de convaincre Emmanuel Macron d’infléchir, sinon de modifier radicalement, la politique traditionnelle de la France sur la question palestinienne. En d’autres termes, sous le couvert de sa langue de bois habituelle, Nétanyahou souhaite que la France, qui avec l’Allemagne parle au nom de l’Europe, abandonne l’idée de l’indépendance palestinienne et se limite à la préservation indéfinie du statu quo.Il expliquera au président que ce n’est pas à la colonisation de la Cisjordanie, avec l’implantation de 350 000 juifs dans les territoires occupés en juin 1967, qu’incombe la responsabilité du blocage de la situation actuelle, mais au refus palestinien de reconnaître Israël comme un Etat juif. Selon lui et les siens, la reconnaissance d’Israël par l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) au temps de son fondateur Yasser Arafat, tout comme les accords d’Oslo de 1993, signifient peu de chose car il leur manque la clé de voûte : la reconnaissance des droits inaliénables des juifs sur la Palestine historique.

En France et en français, le terme « Etat juif » est synonyme de l’Etat d’Israël, ce qui n’est pas du tout la signification que lui prête en hébreu la droite israélienne. C’est pourquoi les nationalistes travaillent actuellement sur un projet de loi qui doit fixer définitivement le statut de tous les Arabes palestiniens sous contrôle israélien. Non seulement il faut empêcher à tout prix que l’entité nationale palestinienne, en se donnant les structures d’un Etat indépendant, accède à un statut d’égalité avec l’Etat israélien, mais aussi il importe de changer profondément la structure constitutionnelle d’Israël même, où les Arabes constituent 20  % de la population.

Alors que, dans les textes en vigueur, l’Etat d’Israël est défini comme « juif et démocratique » – le concept « démocratique » vient ancrer l’égalité de tous les citoyens –, dans la nouvelle législation actuellement en débat, la préséance revient au national. Ainsi est établie une hiérarchie claire : alors que la loi fondamentale de l’Etat cherche à tenir la balance égale entre le national, c’est-à-dire le particulier, et l’universel, la droite subordonne l’universel au particulier.

Citoyens de seconde zone

En d’autres termes : les Arabes citoyens -d’Israël deviennent des citoyens de seconde zone. Ils restent évidemment citoyens de l’Etat d’Israël, mais, dans son essence, cet Etat sera juif, c’est-à-dire que seuls les juifs en seront les propriétaires légitimes. Car, si l’on va au fond des choses, pour les nationalistes durs, la nationalité est une simple catégorie juridique et politique, donc une catégorie -artificielle, dont le contenu peut être modifié à volonté, comme cela a été déjà le cas d’abord en Allemagne nazie, ensuite ailleurs en Europe, jusqu’à Vichy. La nationalité ne peut être qu’inférieure à la qualité de « juif » qui vient de la naissance, pour ne pas dire de la « nature », et reste définie par l’histoire, par la Bible, et pour certains au gouvernement même, par la volonté divine.

Cette « loi de la nationalité », qui entend changer totalement la nature de notre société et instaurer une forme d’inégalité calquée sur la situation qui prévaut dans les territoires occupés, n’a pas été encore votée grâce à la vigoureuse bataille que livrent les organisations des droits de l’homme, les intellectuels et toutes les « élites » culturelles que notre gouvernement considère comme ennemies du peuple. Mais, en réalité, c’est avant tout la crainte des réactions et -sanctions extérieures face à ce que serait la légalisation en Israël même de l’apartheid importé des territoires occupés, qui fait que le Likoud hésite à passer en force et à faire jouer la majorité dont sa coalition dispose à la Knesset. Nétanyahou ne recule que devant la force, jamais devant la morale.

C’est ainsi que l’occupation aura fini par pourrir notre société : certains d’entre nous combattent ce glissement vers l’abîme -depuis plus de quarante ans. A cela, il faut ajouter la persécution continue des organisations des droits de l’homme, la campagne contre la liberté d’expression dans les -universités ainsi que l’introduction continue de la religion dans l’enseignement public prétendument laïque.

Car, le grand dessein de la droite nationaliste n’est pas la fin du conflit mais la conquête définitive de la Palestine historique. La droite s’élève de toutes ses forces contre l’idée qu’il pourrait exister une quelconque symétrie entre les droits des juifs et les droits des Arabes sur le sol de la Palestine. Pour elle, les droits historiques auront toujours la primauté sur les droits de l’homme, cette « nuée », comme disait Maurras, misérable invention des Lumières françaises.

C’est pourquoi, dans son esprit, la solution du conflit ne peut passer par un compromis mais uniquement par la capitulation arabe. Il faut que les Arabes reconnaissent leur défaite historique et s’accommodent de l’idée qu’ils ne pourront vivre en Palestine occidentale, entre la mer et le Jourdain, que soumis, d’une façon ou d’une autre, à la souveraineté juive. A cet effet, la droite cherche à détruire le statut fondateur de la guerre d’indépendance de 1948-1949, avec sa malheureuse « ligne verte », et pour pouvoir poursuivre la conquête du sol, à casser les acquis de la fondation d’Israël. Il faut donc concevoir la guerre des Six-Jours de 1967 non pas comme un accident infortuné mais comme la suite et la conclusion de celle de 1948-1949.

A première vue, la démarche de la droite peut paraître un paradoxe, mais, en réalité, cette approche affiche une grande logique. Les nationalistes comprennent que, si l’on regarde la création de l’Etat et l’accession à la souveraineté dans les frontières issues de la guerre d’indépendance comme une véritable césure dans l’histoire juive, le long processus de conquête de la terre est parvenu à sa fin. Une telle vision du sionisme constitue pour eux un danger existentiel, il faut donc défaire aussi rapidement que possible les acquis de 1948. Mais ce n’est pas pour la droite le seul danger : cette normalisation de la – condition juive, qui a été le grand objectif du sionisme des fondateurs, porte en elle une autre menace, celle de la conception utilitaire et libérale de l’Etat.

Pour la droite, la fonction de l’Etat ne -consiste pas à garantir les droits de l’homme, la démocratie, l’égalité devant la loi, ni même à assurer à sa population une vie décente : l’Etat existe pour poursuivre la conquête de la terre d’Israël, aussi loin que possible au-delà de la « ligne verte », et, de ce fait, rendre impossible l’existence d’une autre entité politique sur cette terre. Assurément, Nétanyahou, contrairement à la plupart de ses ministres qui s’expriment beaucoup plus librement, surtout quand ils parlent en hébreu, ne refuse pas le principe théorique de deux Etats mais, en même temps, il fait tout pour que l’Etat palestinien ne puisse voir le jour. Avec la Cisjordanie découpée en peau de léopard par la colonisation israélienne, cette entité palestinienne n’aurait d’Etat que le nom.

Le rôle de la France

Arrivé à ce point, qu’il me soit permis d’insister sur le rôle de la France. Si l’acceptation de la finalité du cadre territorial acquis en  1949 constitue la seule base sur laquelle puisse intervenir le règlement du conflit israélo-palestinien, ce principe ne saurait ouvrir une voie à sens unique. Depuis la conférence de Madrid de 1991 et les accords d’Oslo de 1993 jusqu’à ce jour, en passant par la réunion de Camp David de l’an 2000, la conférence d’Annapolis de 2007, tous les efforts pour mener à bien un dialogue direct échouèrent : ni les uns ni les autres ne possèdent l’énergie intellectuelle et morale nécessaire pour accepter les résultats de la guerre de 1948-1949.

Assurément, un tel consentement est -objectivement bien plus douloureux pour les Palestiniens que pour les Israéliens : -concrètement, cela signifie pour eux l’abandon de leur revendication majeure, le retour en Israël des réfugiés de 1948-1949. Cette exigence représente la destruction d’Israël et reste donc inacceptable pour nous Il s’ensuit que l’acceptation par les uns et les autres de la finalité de 1949 – la « ligne verte » améliorée devenant la frontière permanente entre deux Etats – constitue la seule base sur laquelle puisse être fondée la fin du conflit.

Enfin, puisque les Palestiniens comme les Israéliens ont fini par démontrer depuis un demi-siècle, urbi et orbi, leur incapacité de parvenir à une solution raisonnable, négociée en face-à-face, une telle solution, fondée sur le partage de la terre entre deux Etats souverains, doit leur être imposée. La France et l’Allemagne, moteurs de l’Europe, pays amis et alliés d’Israël, doivent dans le cadre de l’Organisation des Nations unies, prendre leurs responsabilités. Cinquante ans de discours nous suffisent, le temps est venu d’agir.

Zeev Sternhell 

© Le Monde

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Non à l’instrumentalisation de la lutte contre l’antisémitisme

Suite au vote par le Parlement européen le 1er juin 2017 d’une résolution faisant référence à la définition de l’antisémitisme par l’International Holocaust Remembrance Alliance (IHRA) – ambiguë quant à son attitude vis-à-vis du gouvernement israélien – voici le texte signé par un certain nombre d’auteurs, historiens, philosophes, sociologues, psychanalystes, qui ont travaillé sur l’antisémitisme.

A propos d’un vote du Parlement européen :
non à l’instrumentalisation de la lutte contre l’antisémitisme

Le 1er juin 2017, le Parlement européen a adopté une résolution sur une cause essentielle et qui mérite un traitement sérieux : la lutte contre l’antisémitisme. Or, cette résolution, qui reprend l’une des deux propositions déposées, celle des groupes conservateurs (PPE), libéraux (ALDE) et socialistes (S&D), pose de sérieux problèmes. Elle s’appuie, en effet, sur la définition de l’antisémitisme proposée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste, l’International Holocaust Remembrance Alliance (IHRA), dont le grave défaut est de s’écarter de son objet en multipliant les références à l’Etat d’Israël.

Ce n’est pas à un parlement de définir des notions qui font l’objet d’un vaste débat historiographique et de centaines de travaux critiques. Et le texte de l’IHRA est loin d’être une référence indiscutable. Il affirme d’emblée que « Les manifestations de l’antisémitisme peuvent inclure le ciblage de l’Etat d’Israël » et mentionne à neuf reprises cet Etat ; même si ses auteurs se voient contraint d’ajouter : « Cependant, une critique d’Israël similaire à celle menée contre n’importe quel autre pays ne peut être vue comme antisémite ». Quand il donne ensuite des « exemples contemporains d’antisémitisme dans la vie publique, les médias, l’école, le monde du travail ou la sphère religieuse », il met sur le même plan quatre exemples de propos haineux, stéréotypés, fantasmés ou négationnistes relevant incontestablement de l’antisémitisme, et sept autres portant sur l’Etat d’Israël, sa « politique actuelle » et ses « actions ».

C’est cette définition de l’antisémitisme par l’IHRA que la résolution votée par le Parlement européen invite les États membres, les institutions et agences de l’Union à adopter et à appliquer. Or, si l’on peut considérer qu’il existe dans certaines attaques formulées contre Israël des dérives antisémites, les critiques de la politique des gouvernements israéliens ne peuvent en aucun cas être assimilées à de l’antisémitisme sans nuire tout à la fois au combat contre l’antisémitisme et contre le racisme, et à la liberté d’opinion nécessaire au fonctionnement de nos démocraties

C’est ce qu’ont exprimé au Parlement européen les députés de gauche et écologistes (GUE/NGL et Verts/ALE) qui refusent cette instrumentalisation de la lutte contre l’antisémitisme et souhaitent inscrire celle-ci dans le combat, essentiel et universel, contre toutes les formes de racisme et de discriminations.

Oui, on peut lutter contre l’antisémitisme et défendre les droits des Palestiniens. Oui, on peut lutter contre l’antisémitisme tout en condamnant la politique de colonisation du gouvernement israélien.

La lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations ne se divise pas.

Bertrand Badie, Etienne Balibar, Fethi Benslama, Sophie Bessis, Rony Brauman, Alice Cherki, Suzanne Citron, Sonia Dayan-Herzbrun, Michel Dreyfus, Ivar Ekeland, Jeanne Favret-Saada, Marcel-Francis Kahn, Catherine Lévy, Gilles Manceron, Gustave Massiah, Elise Marienstras, Fabienne Messica, Edgar Morin, Véronique Nahoum-Grappe, Emmanuel Naquet, Jacques Rancière, Bernard Ravenel, Carole Reynaud Paligot, Michel Rotfus, Denis Sieffert, Elisabeth Roudinesco, Shlomo Sand, Enzo Traverso, Michel Tubiana, Dominique Vidal.


Cette prise de position a été publiée par Libération le 4 juillet 2017 Tribune, par l’Humanité le 5 juillet 2017 Texte collectif, par Politis le 5 juillet 2017 Article collectif ouvert,  par Médiapart le 7 juillet 2017 Les invités de Médiapart

Par ailleurs nous joignons ci-après, à cette prise de position les textes références sur le vote au Parlement européen du 1 juin 2017. Continuer la lecture de Non à l’instrumentalisation de la lutte contre l’antisémitisme 

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