ISRAËL-PALESTINE : LE BOYCOTT CONTRE LA VIOLENCE

 

DOSSIER PUBLIÉ PAR POLITIS N°1403 DU 12 AU 18 MAI 2016

Faut-il boycotter Israël ?

PAR DENIS SIEFFERT

C’est peu dire que le conflit israélo-palestinien agit comme un poison dans nos sociétés. Par sa durée, par sa portée symbolique dans le monde arabe, par la mauvaise foi des Occidentaux, par le recours systématique à la force de ceux qui en disposent, par le mépris du droit, ce conflit engendre toutes les exaspérations. Quiconque est sincèrement désireux d’apaiser les tensions du monde devrait donc rechercher une solution qui donne droit aux Palestiniens à un État souverain, dans les frontières de 1967. Depuis le plan « Rogers », en 1969, jusqu’à la timide tentative du secrétaire d’État américain, John Kerry, en avril 2014, en passant par les accords d’Oslo torpillés cyniquement par le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, combien de plans ont échoué ? Ils ont échoué parce que la décolonisation des territoires palestiniens n’a jamais été posée – sauf par les Palestiniens eux-mêmes – comme une condition incontournable à la résolution du conflit, et parce que ni les États-Unis ni les Européens n’ont voulu exercer la moindre pression sur Israël. Dernier exemple : le rejet, le 4 mai, par Netanyahou du plan de paix initié par la France. Torpillé avant même sa première phase, prévue pour le 30 mai. Que reste-t-il dans ces conditions ? La violence ? Les coups de couteau de jeunes gens désespérés ? La montée, du côté palestinien, d’un extrémisme qui fera bientôt passer le Hamas pour une organisation modérée ? Face à cette obstruction, la campagne lancée en 2005 par des ONG palestiniennes pour le boycott des produits israéliens, le désinvestissement des firmes internationales et des sanctions économiques (BDS) est sans aucun doute l’arme ultime. Une arme pacifique. Ce qui n’est pas rien dans cette région du monde. Que ceux qui, en France, tentent de l’interdire, disent ce qu’ils proposent de mieux !

http://www.politis.fr/articles/2016/05/faut-il-boycotter-israel-34701/

Le boycott, l’arme ultime des Palestiniens

PAR MARGAUX MAZELLIER

Face à une colonisation galopante, qui hypothèque la solution à deux États, et devant l’atonie de la communauté internationale, la campagne BDS s’impose comme une action non-violente et potentiellement efficace.

Juillet 2005. Un an après que la Cour internationale de justice eut jugé illégal le mur construit par Israël sur le territoire palestinien occupé, 171 ONG lançaient un appel mondial au boycott des produits israéliens. Sur le modèle de la campagne qui avait été menée contre l’Afrique du Sud au temps de l’apartheid, les représentants de la société civile palestinienne appelaient chaque citoyen à faire pression sur leurs États respectifs pour qu’ils appliquent l’embargo économique et culturel. Un moyen pacifique de lutter contre la colonisation, qui est en constante augmentation depuis 1967. Fin 2015, on comptait en effet environ 547 000 colons en Cisjordanie, dont 196 890 à Jérusalem-Est, où les Palestiniens veulent édifier leur capitale. C’est deux fois plus qu’en 1995 !

Selon un rapport de l’ONG israélienne La Paix maintenant, publié le 28 décembre dernier, le gouvernement israélien prévoit de construire plus de 55 500 nouveaux logements dans des colonies en Cisjordanie, dont plus de 8 300 en zone E1, un secteur stratégique qui relie Jérusalem-Est à la colonie de Ma’ale Adumim. Développer les colonies dans cette zone permettrait à l’État hébreu de couper la Cisjordanie en deux. « En empêchant toute continuité territoriale palestinienne, le gouvernement de Benjamin Netanyahou torpille la solution à deux États, estime Taoufiq Tahani, président de l’Association France-Palestine solidarité. C’est sa stratégie depuis le début. » En 1979, déjà, le plan de colonisation Drobless, initié par le premier gouvernement de droite de Menahem Begin, projetait d’encercler les villes de Cisjordanie.

Le plan semble avoir fonctionné puisque les six principales agglomérations cisjordaniennes (Zone A), sous autorité palestinienne depuis les accords d’Oslo en 1993, sont isolées les unes des autres. Autour de Ramallah, capitale administrative de l’Autorité palestinienne, les constructions de logements continuent. En juillet dernier, le Premier ministre israélien avait annoncé la construction immédiate de 300 logements dans la colonie de Beit El, située à quelques kilomètres au nord de la capitale administrative palestinienne.

Un encerclement concrétisé également par la construction, depuis 2002, de ce qu’Israël nomme pudiquement « barrière de séparation ». Un « mur d’apartheid », pour les Palestiniens, étendu sur plus de 700 km et incluant plusieurs grands blocs de colonies israéliennes. Bien qu’il ait été jugé illégal par la Cour internationale de justice et l’Assemblée générale de l’ONU, sa construction progresse. En avril dernier, les travaux ont repris dans la vallée de Cremisan, à Beit Jala. Une fois le mur construit, cinquante-huit familles seront privées des terres qu’elles cultivent. Un moyen pour le gouvernement israélien d’annexer de nouveaux territoires, mais aussi de relier les deux colonies de Gilo et d’Har Gilo. Israël est accusé d’établir de nouvelles frontières de fait. Selon l’ONU, le tracé du mur se trouve à 85 % en Cisjordanie, isolant 9,4 % du territoire palestinien.

Atonie de la communauté internationale

Ces infractions au droit inquiètent certes la communauté internationale, qui ne cesse de les condamner. En octobre 2015, par la voix de son porte-parole John Kirby, le secrétaire d’État américain John Kerry avait exprimé, de façon toute diplomatique, son « inquiétude face à la tendance actuelle sur le terrain, y compris cette violence et les activités de colonisation en cours […] de nature à mettre en danger la possibilité de parvenir finalement à une solution à deux États ». Lors de sa rencontre avec le chef de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, le mois dernier, la chancelière allemande Angela Merkel avait quant à elle affirmé qu’elle comprenait « pourquoi le président Abbas demande continuellement le soutien du Conseil de sécurité des Nations unies ». Des condamnations de principe qui ne procèdent d’aucune volonté coercitive.

Depuis 1967, des centaines de résolutions de l’ONU ont condamné la politique coloniale et discriminatoire des gouvernements israéliens successifs. En 2015, l’Assemblée générale des Nations unies a mis en débat vingt résolutions contre la colonisation israélienne. Toutes ont été adoptées. Pourtant, pas une seule d’entre elles n’a été appliquée depuis 1967. « Le gouvernement de Benjamin Netanyahou se sent de plus en plus pressé par la communauté internationale. Il veut donc grignoter un maximum de terrain en construisant de nouvelles colonies pour peser dans les négociations futures », commente Taoufiq Tahani. « Israël fait dire ce qu’il veut au droit, ajoute Jean-Paul Chagnollaud, professeur de sciences politiques à l’université de Cergy-Pontoise. En tant que puissance occupante, il ne se soumet pas au droit international mais à ses propres procédures juridiques. »

Des résolutions qui restent lettre morte ou qui se heurtent au veto américain. Chaque année, l’Assemblée générale de l’ONU vote une résolution « Règlement pacifique de la question de Palestine » qui demande à Israël de se retirer des territoires occupés depuis 1967, y compris Jérusalem-Est, et de régler le problème des réfugiés palestiniens. Chaque année, cette résolution est approuvée par la plupart des pays du monde, à l’exception des États-Unis. Depuis 1967, Washington a utilisé son veto plus de cinquante fois pour s’opposer à des résolutions condamnant Israël. « Le lobby pro-israélien est très présent au Congrès américain. C’est pour cette raison qu’aucun président n’a osé aller à l’encontre des exigences du gouvernement israélien », souligne Taoufiq Tahani.

Une initiative française rejetée par Israël

Les tentatives, par l’ONU, de processus de paix s’accompagnent de celles de la communauté internationale. États-Unis, Norvège, France… Nombreux sont les pays qui ont lancé des « initiatives de paix ». En 1993, les accords d’Oslo, signés par Yasser Arafat et Yitzhak Rabin sous l’égide des États-Unis, ont fait illusion, surtout en raison de la symbolique de la poignée de mains entre les deux dirigeants sous le regard tutélaire de Bill Clinton. Ils prévoyaient d’établir les bases d’une autonomie palestinienne à l’intérieur des frontières de 1967. Un texte qui n’a, lui non plus, pas été respecté par Israël puisque, entre 1993 et les accords de Camp David en juillet 2000, le nombre de colons est passé de 115 000 à presque 195 000. Autant de tentatives diplomatiques qui se solderont finalement par le déclenchement de la seconde intifada en 2000, après l’échec de la négociation de Camp David. « Les États-Unis et l’Europe ne veulent pas vraiment résoudre ce conflit. Ils ne sont pas prêts à faire pression sur Israël, dont ils sont les protecteurs historiques », analyse Jean-Paul Chagnollaud.

Pourtant, le gouvernement français a récemment annoncé qu’une réunion des ministres des Affaires étrangères d’une vingtaine de pays se tiendrait à Paris le 30 mai en vue de préparer un sommet international sur le conflit israélo-palestinien avant la fin de l’année. Une initiative diplomatique que le gouvernement de Benjamin Netanyahou s’est empressé de rejeter, affirmant préférer s’en tenir à des discussions directes. « Puisqu’Israël n’applique pas le droit et ne veut pas discuter, le boycott apparaît comme le seul moyen de protestation aujourd’hui », estime Jean-Paul Chagnollaud.

Dans cette affaire, le droit est bafoué en permanence, et il n’y a pas de gendarme. Rien ne sera obtenu sans que des pressions s’exercent sur Israël. Les États s’y refusent. Même si l’Union européenne a pris quelques dispositions gênantes pour Israël en décidant l’étiquetage des produits issus des colonies. Une toute petite contribution au boycott… La société civile a pris le relais.

http://www.politis.fr/articles/2016/05/le-boycott-larme-ultime-des-palestiniens-34702/

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Un appel juif pour BDS

Vingt personnalités, parmi lesquelles l’ancien président de Médecins sans frontières Rony Brauman, le psychiatre Georges Federmann, l’éditeur Éric Hazan, le professeur Marcel-Francis Kahn, le militant altermondialiste Gus Massiah, l’écrivain Maurice Rajsfus et Pierre Stambul, membre du bureau national de l’Union juive française pour la paix (UJFP), ont récemment lancé un « appel juif pour BDS » qu’ils entendent adresser à Manuel Valls. Les auteurs du texte affirment que « le fait d’être juif n’implique aucune obligation d’allégeance à Israël ». Ils appellent à boycotter Israël « parce que les dirigeants occidentaux sont complices de la politique israélienne et que, sans sanctions, le rouleau compresseur colonial se poursuivra ». Dans leur texte, qui le 10 mai avait recueilli quelque 2 300 signatures, ils invoquent « une longue tradition de juifs considérant que la lutte pour leur émancipation et contre l’oppression qu’ils ou elles ont subie est indissociable de la lutte pour l’émancipation de l’humanité ». Enfin, ils affirment leur refus d’une « justice d’exception qui veut criminaliser BDS et museler la solidarité envers les droits des Palestiniens ». www.ujfp.org

D.S.

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Incohérences françaises

PAR DENIS SIEFFERT

Alors qu’Israël rejette déjà l’initiative de la France pour relancer le processus de paix, le gouvernement criminalise les appels au boycott qui font pression sur l’État hébreu.

Il en va de la position française dans le conflit israélo-palestinien comme de beaucoup d’autres sujets : c’est le règne de la confusion. Alors que l’ancien ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, avait obtenu de haute lutte un vote favorable de la France pour reconnaître à la Palestine un statut d’observateur à l’ONU, et alors que le même Laurent Fabius est à l’origine d’une nouvelle initiative de conférence internationale, la traque se poursuit contre les associations qui appellent au boycott des produits israéliens. Comme si toute pression exercée sur Israël devait être interdite, alors même que l’État hébreu rejette les unes après les autres les tentatives de relance du processus de paix.

En fait, il apparaît clairement qu’il y a plusieurs « lignes » au sein du gouvernement. Quand le Quai d’Orsay, à présent dirigé par Jean-Marc Ayrault, développe – avec plus ou moins de conviction – son projet de conférence, le Premier ministre, Manuel Valls, menace les associations qui appellent au boycott pour amener Israël à se conformer au droit international. Comme si le ministère des Affaires étrangères et Matignon ne poursuivaient pas les mêmes objectifs.

Le Premier ministre redouble d’attaques contre les « antisionistes » et les militants de BDS. Le 7 mars, il a créé la polémique en affirmant, lors du dîner annuel du Crif, qu’« antisionisme était synonyme d’antisémitisme et de haine d’Israël ». Que l’accusation ait été lancée devant le Crif, véritable courroie de transmission du gouvernement israélien au sein de la société française, n’est évidemment pas indifférent. La formule n’est en effet que la simple reprise de la propagande du gouvernement israélien.

Le 18 janvier déjà, cette fois devant les Amis du Crif, Manuel Valls avait menacé les associations à l’initiative du mouvement BDS en France : « Je pense que les pouvoirs publics doivent changer d’attitude vis-à-vis de ce type de manifestations », avait-il lancé, avant d’avoir cette formulation ambiguë : « Nous allons prendre des dispositifs – mais toujours dans l’État de droit – qui doivent montrer que ça suffit, et qu’on ne peut pas tout se permettre dans notre pays. »

En fait, Manuel Valls marche dans les pas du gouvernement Sarkozy. Le 12 février 2010, Michèle Alliot-Marie, alors garde des Sceaux, avait ouvert les hostilités en faisant adopter, sous la plume de son directeur des affaires criminelles, une circulaire intitulée « Procédures faisant suite à des appels au boycott des produits israéliens ». Des juristes ont immédiatement souligné la singularité d’un texte qui vient en défense exclusive d’Israël. Par la suite, une seconde circulaire du même tonneau sera adoptée par le successeur de Michèle Alliot-Marie place Vendôme, Michel Mercier.

Depuis cinq ans, plus d’une centaine de militants associatifs ont fait l’objet de procédures de police, et une quarantaine ont été poursuivis (voir encadré). Mais les décisions de justice sont très contradictoires, et les relaxes nombreuses. Il n’empêche que l’argumentaire de la circulaire a un caractère infamant puisque l’appel au boycott est assimilé à une provocation à la discrimination « à raison de l’appartenance d’une ou plusieurs personnes à une nation ».

En octobre 2015, un arrêt de la Cour de cassation a confirmé un jugement qui s’appuyait précisément sur ce chef d’accusation. Mais la bataille juridique continue. L’avocat du BDS, Antoine Comte, entend porter le débat devant la Cour européenne des droits de l’homme pour « violation de la liberté d’expression ». Me Comte souligne que les appels au boycott « visent des produits et non des personnes » et qu’ils font partie « d’une critique pacifique de la politique d’un État relevant du libre jeu du débat politique, au cœur de la notion de société démocratique ». Un argumentaire pas très éloigné de celui de Jean-Jacques Urvoas, qui, le 20 novembre dernier, alors qu’il était encore président de la Commission des lois à l’Assemblée, estimait que « l’incitation à punir ce militantisme [les appels au boycott] constitue une atteinte à la démocratie et aux libertés fondamentales ». Ministre de la Justice, tiendra-t-il le même discours ?

Malgré les intimidations, la campagne BDS continue de se développer en France et dans le monde. Elle a connu quelques succès spectaculaires en ce qui concerne les appels au « désinvestissement » d’entreprises françaises. Selon les organisateurs de BDS, la rupture entre Orange et la société israélienne Partners Communication et le retrait total de Veolia du marché israélien doivent être portés au crédit de la campagne. Tout comme les sanctions qui ont frappé la société israélienne d’agroalimentaire Agrexco, contrainte de quitter le port de Sète et mise en liquidation, et le boycott de la firme Sodastream, qui a dû se retirer de plusieurs manifestations dont elle était partenaire, notamment le festival de BD d’Angoulême. La multinationale israélienne, spécialisée dans les boissons gazeuses, a dû, en 2013, transférer en Israël sa principale unité de production, qui était située dans la colonie de Ma’ale Adumim, en Cisjordanie occupée. Il s’ensuivit une polémique à propos des travailleurs palestiniens employés par la firme. Le gouvernement israélien a refusé une autorisation de travail sur le sol israélien à 74 employés, qui ont été licenciés. L’affaire a servi d’argument à la direction pour montrer les « méfaits » du boycott. Cela a même fait les choux gras d’un journal de France 2, qui a semblé soudain s’intéresser à la campagne BDS sous le seul angle du préjudice qu’elle porterait… aux Palestiniens. Un argument qui peut mener loin : des ouvriers palestiniens sont aussi utilisés pour des constructions dans les colonies. Cela doit-il justifier la colonisation, alors qu’on imagine qu’il y aurait pour eux beaucoup de travail dans un État palestinien à fonder ?

La réfutation des arguments les plus spécieux fait aussi partie de la bataille de BDS pour conquérir une opinion qui se mobilise surtout dans les périodes d’offensive militaire israélienne. La plus grande difficulté, pour BDS, c’est le lobbying mené par le Crif dans la sphère politique. L’un des problèmes soulignés par Jean-Guy Greilsamer, l’un des porte-parole de l’Union française juive pour la paix, une organisation engagée dans la campagne BDS, c’est que « le gouvernement reconnaît le Crif comme seule organisation représentative de la communauté juive ». Ce qui est très loin de refléter la réalité. D’autant que, depuis une vingtaine d’années, le Crif, dont les dirigeants sont très à droite dans le paysage politique français, est plus pro-israélien que l’ambassadeur d’Israël… Ce qui fait que les politiques français, et non des moindres, qui se pressent aux dîners de cette organisation pour dire ce que l’assistance veut entendre, font fidèlement écho au discours de M. Netanyahou. En poursuivant toujours un seul but : assimiler le boycott à l’antisémitisme. Dans cette voie, c’est tout de même Michèle Alliot-Marie qui a fait le plus fort. En février 2010, et toujours au cours d’un dîner du Crif, la ministre de Nicolas Sarkozy avait notamment affirmé que les appels au boycott visaient des produits « au motif qu’ils sont casher ». Six ans plus tard, l’assimilation, par Manuel Valls, de l’antisionisme à un antisémitisme se situe dans le même registre.

http://www.politis.fr/articles/2016/05/bds-incoherences-francaises-34703/

 

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Les « douze » de Mulhouse

 

L’affaire de Mulhouse ressemble déjà à un long feuilleton judiciaire. Les 26 septembre 2009 et 22 mai 2010, douze militants du Collectif Palestine-68 manifestent dans les locaux commerciaux du magasin Carrefour à Illzach, près de Mulhouse : tee-shirts et tracts hostiles à la politique d’Israël et appel au boycott des produits israéliens. Mais aucune violence ni aucun préjudice matériel ne sont constatés. Interpellés, les militants sont cités à comparaître pour « provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’un groupe de personnes à raison de leur origine nationale ».

Au terme du procès, le 20 octobre 2015, la chambre criminelle de la Cour de cassation rejette les pourvois formés par les militants contre deux arrêts de la Cour d’appel de Colmar les condamnant à 24 000 euros d’amende avec sursis, et 28 000 euros de dommages-intérêts et de frais de procédure. C’est, à ce jour, le jugement le plus sévère rendu contre des militants de BDS. L’affaire a été portée le 18 mars 2016 devant la Cour européenne des droits de l’homme pour violation de leur liberté d’expression.

D.S.

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Eyal Sivan : « Le boycott culturel d’Israël est le plus important »

PAR DENIS SIEFFERT ET MARGAUX MAZELLIER

Le cinéaste israélien Eyal Sivan et la productrice Armelle Laborie analysent ici la perception de la campagne BDS en Israël.

On connaît Eyal Sivan, cinéaste, auteur avec Michel Khleifi de Route 181 en 2003. Il travaille actuellement à un essai sur le boycott, en collaboration avec la productrice Armelle Laborie. Tous deux nous donnent ici un aperçu de leurs réflexions.

Quel est l’impact aujourd’hui en Israël de BDS, notamment dans le discours médiatique et politique ?

Eyal Sivan Certains ont parlé de « tsunami ». Il est intéressant de constater que l’affaire du boycott a pris de l’importance dans le discours politique israélien au moment où l’accord entre les États-Unis et l’Iran a été signé. Il faut toujours à ce pays une menace existentielle pour assurer l’unité nationale, et le boycott a pris le relais de l’Iran.

Armelle Laborie C’est devenu à ce point important qu’en mars 2016 une conférence contre le BDS a réuni des personnalités politiques, des universitaires, des artistes et des spécialistes du renseignement. Et c’est à la fin de cette conférence que le ministre des Transports, Yisrael Katz, a déclaré qu’il envisageait l’élimination ciblée des militants du BDS.

Eyal Sivan Aujourd’hui, en Israël, BDS, ça sonne un peu comme Daech…

 

Face à cette surenchère, il ne se trouve personne pour dire, puisque BDS est une menace : « Essayons de régler le problème palestinien » ?

Eyal Sivan Une partie de la gauche sioniste reconnaît que, s’il y a BDS, c’est qu’il doit y avoir un problème palestinien. Mais la réponse qu’ils apportent, c’est « négocions ! ». Sans objectifs ni limites.

 

C’est toujours la fameuse phrase de Shamir en 1991 à Madrid : « Nous négocierons le temps qu’il faut pour qu’il n’y ait plus rien à négocier »…

Eyal Sivan C’est cela ! Et ils ne proposent pas de changer de politique. L’autre argument de ce centre-gauche, c’est que BDS va renforcer la droite. On retrouve cet argument dans les chancelleries européennes : « Il ne faut pas crisper Israël. » Comme si Israël avait besoin de BDS pour se crisper ! Le problème, c’est que les résolutions internationales ne sont pas appliquées. Si elles l’étaient, il n’y aurait pas besoin de BDS.

 

Vous soulignez l’importance du boycott culturel. Cela fait débat ici. Pourquoi boycotter par exemple des cinéastes critiques à l’égard du gouvernement israélien ?

Eyal Sivan Quelqu’un l’a très bien expliqué, c’est Arye Mekel, directeur des Affaires culturelles. En 2012, il a déclaré au New York Times : « Nous envoyons à l’étranger des romanciers et autres écrivains connus, des troupes de théâtre, nous organisons des expositions… Ainsi, nous montrons un visage plus sympathique d’Israël, histoire d’en gommer l’image belliqueuse. » C’est une stratégie assumée qui met en avant certains artistes critiques, lesquels se prêtent au jeu. Certains sont partisans du boycott des produits qui proviennent des colonies. Cela fait même très chic de refuser de boire un vin du Golan ou des Territoires dans un restaurant de Tel Aviv. Mais il faut savoir que 1 % seulement des exportations israéliennes viennent des colonies. Le préjudice est donc minime. C’est pour ça que la décision de l’Union européenne d’étiqueter les produits venant des colonies est ridicule.

Selon vous, le boycott important serait donc le boycott culturel…

Eyal Sivan Absolument. Il faut savoir que, dans tous les conseils d’administration d’université, il y a des représentants de l’armée et du renseignement. Il y a une collaboration étroite entre l’armée et l’université. Les plus hauts responsables universitaires ont tous approuvé l’offensive contre Gaza. Comme la plupart des écrivains connus à l’étranger.

Armelle Laborie Et cela a engendré une discrimination supplémentaire. Après Gaza, les universités ont félicité les soldats et leur ont promis des avantages quand ils reprendraient leurs études. Or, cela se fait évidemment aux dépens des Arabes israéliens, qui, eux, ne font pas leur service militaire. Les métiers de l’excellence leur sont encore un peu plus inaccessibles. Le fameux high-tech israélien, si réputé, mais très lié à l’industrie de défense, leur est fermé. L’institution universitaire est donc totalement impliquée dans la politique israélienne.

Eyal Sivan À propos de certains cinéastes ou écrivains qui acceptent un rôle d’ambassadeurs, Israël a inventé un nouveau statut : celui de dissidents officiels. Ils acceptent d’autant plus de jouer le jeu que cette culture d’exportation, la leur, celle qui est soutenue par l’État, n’a pas de public en Israël. Le cinéma que vous voyez est celui qui vous ressemble. C’est votre miroir. Cela correspond à une revendication d’Israël d’apparaître comme appartenant au monde occidental, mais c’est aussi une façon d’exclure la culture juive orientale. D’un côté, ce pays revendique une « normalité occidentale », « démocratique », mais, de l’autre, il revendique une exceptionnalité quand il s’agit d’appliquer le droit international.

Armelle Laborie C’est ce qu’on appelle, en psychologie, une injonction contradictoire. La culture d’exportation est au centre de cette injonction. C’est pourquoi elle est soutenue par l’État.

 

http://www.politis.fr/articles/2016/05/eyal-sivan-le-boycott-culturel-disrael-est-le-plus-important-34704/

 

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Par Denis Sieffert, http://www.politis.fr du 12/05/2016
Source : http://www.politis.fr/dossiers/israel-palestine-le-boycott-contre-la-violence-302/